Pour cause d'interférence
3 jours d'exploration radiophonique
Syntone, à travers son site internet et sa déclinaison imprimée La revue de l’Écoute, est un projet éditorial dédié aux modes originaux d’expression sonore. Notre objectif est de donner une visibilité et une légitimité aux domaines artistiques du son. D’une part, nous désirons les faire reconnaître comme art ou médium à part entière – au même titre que le cinéma, la musique, le théâtre, la littérature, etc. D’autre part, nous voulons proposer des outils d’analyse pour développer l’écoute critique. À travers nos articles, nous mettons en lumière des projets où le son est un vecteur original pour parler du monde et de la société. Nous explorons également des thématiques sociales, politiques, philosophiques, écologiques, sous le prisme de l’écoute. En 2018, nous fêtons nos 10 ans d’existence à travers 10 rendez-vous dans toute la France et en Belgique. La Fondation du doute et l’École d’art de Blois / Agglopolys nous ont invité·es à penser une programmation dans leurs murs et, ensemble, nous avons imaginé Pour cause d’interférences, le huitième et le plus élaboré des rendez-vous de nos 10 ans. Pour nous, l’opportunité de concevoir et vivre un tel événement est une grande chance qui nous permet de prolonger nos réflexions, tester des formes et faire de nouvelles rencontres tant avec des artistes qu’avec le public.
LA FICTION COMME INTERFÉRENCE
Mercredi 26 septembre 2018
Récemment, l’emballement médiatique à propos des fake news prétend nous alerter sur une certaine désinformation. Celle-ci est surtout un usage particulier, disons un abus, de la mise en scène de l’information. Cependant, n’importe quel média a recours à la mise en scène, dès lors qu’il faut « angler » un sujet, le passer à la moulinette d’un format et d’une grille, l’adresser à un certain public « cible »… sans parler de ses contraintes économiques et politiques. Inquiets de la défiance grandissante à leur égard, synonyme de perte d’influence, les médias dominants rivalisent d’ingéniosité, à grand renfort de services « désintox » ou « décodage », pour se positionner comme plus fiables que le concurrent et plus objectifs que jamais. À rebours de cette tendance, il existe à la radio des écritures qui mélangent fiction et documentaire, bien qu’il soit périlleux et parfois interdit de mêler ces genres : un documentaire se doit, en effet, de relater un sujet de la manière la plus authentique possible et une fiction de garder ses distances avec les faits réels. Mais à travers des créations comme La Guerre des mondes du Mercury Theatre on the Air ou L’Attentat en direct de Claude Ollier entre autres exemples, la petite histoire des « faux-semblants radiophoniques » nous apprend que, loin de vouloir se jouer de la crédulité du public, ceux-ci mettent au jour la fabrique de la radio en tant que média de masse. Les interférences provoquées entre faits authentiques et mises en scène nous incitent à réfléchir à deux fois à ce qui nous est donné à entendre et elles participent à l’éducation de notre écoute critique. Les faux-semblants nous rappellent que la radio en tant que média est une construction politique. En jouant avec les codes de la radio, ils élèvent celle-ci au rang de médium de création à part entière.
14h – 15h30
Un atelier animé par Juliette Volcler.
Et si nous considérions l’écoute comme une pratique en tant que telle ? Et si nous prenions le temps de décortiquer une création sonore, comme on le fait plus couramment d’un texte ou d’une image ? Initiation à l’écoute critique à travers l’analyse de L’escamoteur de Cabiria Chomel (ACSR, 2016).
16h30 – 17h45
Conférence « Petite histoire des faux-semblants radiophoniques » par Juliette Volcler
Quand la fiction fait l’évènement en passant pour le réel : des faux reportages des années 1920 aux prolifiques docufictions des années 2010, panorama historique des faux-semblants radiophoniques à travers une sélection commentée de 5 pièces représentatives du genre.
18h
Restitution de l’atelier « Rumeur sur la ville »
réalisé par les étudiants de l’école du paysage INSA Centre Val de Loire
Un atelier animé par Lolita Voisin, enseignante à l’École de la Nature et du Paysage de Blois.
À partir d’un projet urbain inventé, qui s’inspire de délires architecturaux ayant existé dans les bureaux de la ville, les élèves de l’école du paysage ont interrogé les habitant·es avec sérieux : « il paraît que… ».
19h – 20h30
Table-ronde « Le faux en radio, outil de création et d’esprit critique »
Le débat autour des fake news a abouti à une institutionnalisation de ce qui relèverait objectivement du vrai, à promouvoir, et du faux, à bannir. Mais l’histoire et l’actualité de la création sonore viennent chambouler ces catégories aussi simplistes pour éveiller une écoute critique.
Discussion avec May Quetboa, archiviste sonore et productrice d’un podcast de reconstitutions historiques ; Christophe Deleu, auteur de docufictions et historien du documentaire radiophonique ; et Olivier Minot, producteur de satires radiophoniques pour la Megacombi de
Radio Canut et auteur pour Arte Radio et Les Pieds sur terre (France Culture).
Modération par Juliette Volcler.
LES CONTRE-DISCOURS COMME INTERFÉRENCE
Jeudi 27 septembre 2018
Les radios pirates des années soixante-dix ont paru dans un contexte politique verrouillé par le monopole de la radio d’État. Au discours dominant, des individus et des collectifs ont voulu opposer une contre-culture : d’autres langages, d’autres manières d’entrer en relation avec les auditrices et les auditeurs, par d’autres moyens techniques. C’était une nouvelle façon d’envisager le média radio. Mais un média, quel qu’il soit, au risque de se rendre aussi lourd qu’ennuyeux, peut difficilement perdurer en exposant et en questionnant sans cesse ses rouages. Une exception célèbre fut peut-être l’expérience éphémère de Radio Alice en Italie. En France encore aujourd’hui, quelques radios libres remettent régulièrement leur fonctionnement sur le tapis et consacrent de l’énergie aux débats internes et aux essais. Au sein de ces radios, où la participation à l’antenne est ouverte à une diversité de points de vue et de modes de fabrication, il y a quasiment autant de positionnements ou de non-positionnements par rapport au média que d’émissions. Mais il existe aussi dans l’ensemble des radios associatives une tendance à l’institutionnalisation. Comme sur le service public, même dans sa version la plus déontologique, on officie par habitude, sans se remettre en question. Il arrive – rarement mais heureusement – que la critique puisse s’exercer à l’intérieur même des médias, par des individus ou des collectifs qui connaissent le potentiel créatif du langage et de l’écriture des sons.
14h – 15h30
Visite de la collection Fluxus de la Fondation du doute
Visite thématique « Le son Fluxus » dans les collections permanentes de la Fondation du doute, par Marion Louis, médiatrice.
16h30 – 18h
Rencontre avec Radio Mulot
Radio Mulot est une expérience radiophonique clandestine, aussi connue sous le nom de France Museau, née à Paris en 1997 puis grandie dans une autre ville d’Europe jusqu’à aujourd’hui. Avec son principal animateur, nous découvrirons l’art et la manière de concevoir un flux sonore et d’infiltrer un territoire.
fieldmice.free.fr/mulot.htm
fieldmice.free.fr/call_fire_emergency/
18h – 20h
Rencontre avec Le Bruitagène
La création sonore engagée, ce serait quoi ?
En tout cas, le collectif nantais Le Bruitagène, lui, est véritablement engagé dans la création sonore. À tendance documentaire (mais pas que), les créations du Bruitagène sont diffusées sur de nombreuses antennes associatives francophones, ainsi que sur la RTBF (Belgique) et la RTS (Suisse). Rencontre-écoute avec Anaïs Denaux et Aude Rabillon, membres du collectif, sur ce que représente de mener sur du temps long un média sonore et créatif, à têtes chercheuses multiples.
www.lebruitagene.info
www.utopiesonore.com
LA MATIÈRE SONORE COMME INTERFÉRENCE
Vendredi 28 septembre 2018
Considérer la radio en tant qu’art et savoir l’interroger, cela sous-entend d’avoir conscience de l’intégralité du dispositif de transmission, qui met en relation une proposition artistique avec un public. La radio peut ainsi être utilisée en connaissance de cause, mais aussi détournée, ou encore reproduite à des échelles autres et selon des modes de participation différents. L’appropriation des technologies par des « pirates » constitue un acte de résistance face à l’industrie et ses produits manufacturés, qui sont verrouillés pour un usage conditionné. La technique de transmission est alors envisagée comme un instrument au service du projet artistique et des relations qu’il désire engendrer des deux côtés de l’émetteur-récepteur. De même, le bricolage, la bidouille et la débrouille, le hacking et le do-it-yourself – appelez cela comme vous voulez – nous font reconsidérer la qualification de « normal » ou d’ « anormal » dans ce que l’on entend. La matière sonore employée volontairement comme interférence représente l’irruption d’une sauvagerie qui interagit avec les discours trop policés. Le son, au lieu d’être un simple support du discours, devient le discours, ou le conteste. Mais à l’époque du contrôle tout-numérique où chacun·e est bien cadré·e, ciblé·e, surveillé·e, comment peut-on encore créer des interférences ?
14h – 17h
Atelier de pratiques radiophoniques informelles
par le collectif Π-node p-node.org
Π-node est une plateforme expérimentale de développement de formats hybrides de la radio entre les réseaux et la FM. Π-node explore les multiples dimensions de la radio – sa physicalité (éther, ondes radio et spectre électromagnétique), sa spatialité (largeur de bande, fréquences), son infrastructure (réseau de récepteurs / émetteurs radio), ses méthodes de production et de diffusion (RDS / SDR), son histoire (radios libres et mouvements de la radio pirate) et sa législation.
20h
Open Studio !
Restitution de l’atelier de pratiques radiophoniques informelles, performance collective et improvisée, bouquet final de « Pour cause d’interférences » et micro ouvert !
17h30 – 19h30
Rencontre « Usages et détournements des ondes »
Rencontres avec les artistes DinahBird, Nicolas Montgermont, et performance de Tetsuo Kogawa.
- DinahBird est une artiste de son et de radio. Ses intérêts actuels comprennent les conditions météorologiques anciennes, les médias morts, l’aéronautique et les transactions à haute fréquence.
bird-renoult.net/antenna-gods/ - Nicolas Montgermont explore la physicalité des ondes sous ses différentes formes. Il s’intéresse à la réalité des ondes dans l’espace, à la manière dont elles se déplacent et se transforment, aux liens entre une source et notre perception.
nimon.org/radioscapes - Tetsuo Kogawa est surtout connu pour être un des instigateurs du mouvement des radios libres au Japon au début des années 1980, appelé « mouvement Mini-FM » du fait de la technologie d’émission à très faible distance qui était alors employée. Dans l’esprit du concept de « micropolitique » de Félix Guattari, Kogawa a développé une réflexion théorique et une pratique d’artiste basée sur la fabrication de micro-émetteurs radio à l’échelle de l’unité humaine.
anarchy.translocal.jp/about.html syntone.fr/tetsuo-kogawa-une-experience-radiophonique-1-2/